Carlos Muro, “Enric
Miralles: la conversación como forma de conocimiento”, Conversaciones con
Enric Miralles, Barcelona, Gustavo Gili, 2016, p.77
Traduction Luis Burriel-Bielza
Dessiner un lieu est, avant tout, comprendre ce lieu. Et, peut-être, le meilleur instrument que l'architecte possède pour le faire soit le plan masse. Parmi les nombreux documents qui composent un projet architectural, le plan masse est considéré par de nombreux architectes comme une simple formalité, une étape nécessaire pour compléter le dossier administratif qui permettra au client d'obtenir le permis de construire. Dans ce cas, le plan masse est réduit à un document qui permet de placer le bâtiment projeté sur le contexte physique plus immédiat. Souvent, la tâche de ce prétendu architecte est spécifiée dans l'inclusion de son projet sur un plan qui vient directement du cadastre, sur lequel il utilise une hachure ou un cercle pour indiquer clairement l'emplacement du projet. Voici comment un diplômé en droit ou un agent immobilier ferait le plan masse.
Pour Enric Miralles, en revanche, un plan masse est, avant tout, l'occasion de faire de l'architecture. Le plan masse occupe une place centrale dans son travail. On pourrait dire que pour Miralles, le plan masse contient l'ensemble du projet. Il ne se fait pas pour compléter le dossier administratif du projet, mais il est un précieux témoignage de la pensée architecturale de son auteur. Ceci est un document, par conséquent, qui ne se dessine pas à la fin du projet pour boucler un processus, mais qui se redessine constamment: au début, au cours du développement et dans de nombreux cas, il arrive qu'il soit aussi redessiné une fois déjà finie sa construction. Pour Miralles, le plan masse établit une première conversation avec son propre travail, avec les projets qui l'ont précédé et ceux qui vont lui succéder dans le temps. Une première conversation dans laquelle on parle de la continuité du travail.
Dessiner un lieu c'est le comprendre, mais aussi le transformer. L'architecte, contrairement au topographe ou au géographe, comprend pour transformer. Le plan masse nous montre comment le site informe le projet et comment, à son tour, le projet modifie le site. Un échange, une conversation intense entre le projet et le lieu est établie. Le plan masse est le document qui incarne l'accord entre le projet et le lieu.
L'architecte a beaucoup d'information relative aux lieux concernés. Sa première tâche est donc de filtrer cette information: choisir ses interlocutoires et choisir avec soin qui entre dans la conversation. La conscience de l'inévitable réduction de la complexité qui suppose transférer les multiples dimensions de la réalité aux deux dimensions du plan oblige, même à un architecte si excessif comme Miralles, à être extrêmement sélectif.
Dès le début de son activité professionnelle, le plan masse joue un rôle important dans la préparation et la présentation des projets. Dès le départ, Miralles a refusé d'accepter que ça soit le format de papier qui détermine, tout comme le format du négatif dicte le cadrage d'une photographie, le cadrage du plan. Dans un plan masse de Miralles seulement ceux qui sont invités à la conversation peuvent y assister. Certains bâtiments sont invités par leurs qualités propres, d'autres peut-être en raison de sa capacité à définir les limites d'une rue ou d'une place. Courbes de niveau, des arbres ou des trottoirs viennent quand ils ont quelque chose à dire. Nous ne découpons pas une réalité existante, mais nous construisons un terrain de jeu. Ainsi, un plan peut difficilement être encadré par une fenêtre rectangulaire classique. Chaque plan construit ses propres limites, souvent avec de longues ramifications qui se prolongent le long d'une rue qui relie la parcelle du projet avec un espace unique dans la ville, une ligne de chemin de fer ou une colline qui définit la limite de la zone urbaine.
[…]
À travers du plan masse, Miralles a essayé d'entamer une conversation avec le lieu, souvent avec des endroits qu'il n'a jamais visité et avec lesquels il a réussi à établir une relation de confiance. Il interroge cordialement ces lieux et, ce faisant, il questionne des nombreuses conventions imperceptiblement adhérées à ces dessins, en proposant des cadrages inattendus et des temporalités et des échelles superposées. Le plan masse, si méprisé par beaucoup comme mis en valeur par Miralles, était sa porte d'entrée au site, mais quand on y arrivait, d'autres voix ont été reconnues. La conversation avait déjà commencée...
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